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documentaire de création 66 minutes produit par Sophie Germain Kaléo films

Geste après Geste

Long-métrage documentaire

© Les Films d'une nuit d'été - 2015

 au Maroc

Feu, terre, végétaux, animaux, cellules, constituent la palette des artistes que nous découvrons. Tels des artisans minutieux, concentrés, ils brulent, coupent, peignent, étalent, nettoient, jusqu'à l'éclosion de leur oeuvre. Pendant ce temps, leur ami galeriste apprend qu'il va devenir père…

avec
Fatiha Zemmouri
Guénaël Beschi
Antonin Salsmann
Michel Salsmann
M'barek Bouchichi
Ilies Issiakhem
Xavier Charles
Lee Patterson
Xavier Quérel
Khalid Zemmouri
Philippe Moreno
Amar Soualia
Thomas Salsmann
Marie-André
Salsmann
François Brunet
Edmond et Denise Fabre
Alexandre Pottier
Zhoor Mekouar
Hamid Khabbaj
Auguste Pottier-Mekouar

autre travail vidéo issu du film

Texte de Francesca Veneziano, critique

C’est tout un récit de la matière, que Sophie Delvallée nous raconte ou – mieux – qu’elle nous dévoile, un geste après l’autre. L’aventure de la matière se décline à travers les éléments qui la composent, les métamorphoses multiples qu’elle subit, les réactions, les prolongements d’une main à l’autre, d’une génération à la suivante : comme à l’intérieur d’un prisme, la cinéaste travaille les possibles de la création, et les diffracte. Tel un enfant, elle s’amuse à démonter tout objet, nous le montrant de l’intérieur.

Commençons à rebours : Geste après geste se clôt sur l’image d’un enfant qui vient au monde. C’est sur une naissance, que Sophie Delvallée choisit de refermer les plis d’un film qui n’a eu cesse de s’ouvrir, de passer du minuscule – le détail d’une esquisse, une étincelle de feu, le ventre brillant d’une luciole – à ce qui l’entoure, c’est-à-dire l’espace où ses traces et ses effets se répandent. Ce n’est pas dans l’idée d’une chronologie que Geste après geste procède, il n’y a pas de linéarité dans les aventures de la matière : le grand n’arrive pas après le petit par un développement naturel, ni par une nécessité narrative d’en montrer l’aboutissement. Comme les ouvriers, les artistes et les artisans dont nous partageons les expériences (mais aussi les doutes et les tentatives), Sophie Delvallée travaille par soustraction – et c’est par ce travail de dénouement qu’elle cherche l’essence, le nœud, le secret du jaillissement de toute œuvre de création.

Toute gestation (même le mot n’en est qu’une expansion) contient et présuppose un geste. Le travail, c’est l’accumulation plus ou moins opératoire, plus ou moins vouée à l’efficacité, de gestes minuscules. C’est à partir de ces gestes – gestes affranchis du besoin de production, libérés –, de ces doigts qui s’agitent sur ces centimètres de matière, que le film procède par contamination progressive. « C’est le même geste que je répète. Après, en fonction de la matière, ça change », raconte une femme au début du film. Le temps s’étire, se réitère, assume une forme circulaire où chaque geste n’est dépendant que de celui qui le précède et qui le suivra. La création d’un objet prévoit son temps propre, qui échappe aux lois humaines, où parfois les oblige à ralentir pour mieux toucher, sentir, frotter la matière – la seule manière que nous avons pour la posséder, ou garder cette illusion.

Le geste de Delvallée est un éloge de la lenteur, de l’action accomplie en dehors des contraintes temporelles. La chronologie s’efface une deuxième fois, cette fois-ci au profit d’un principe de transe (c’est l’un des personnages qui emploi ce mot), d’égarement volontaire et inévitable dans le geste effectué, regardé, filmé ou – encore – écouté. La caméra se laisse emporter, presque hypnotisée, par le mouvement rotatoire d’une bétonnière. Le son, ici et ailleurs, mélange la musique aux bruits de la machine, des éléments naturels et des matériaux, les transformant tous en partition, composition musicale à part entière. Une autre temporalité se met en place : au fil du long plan qui lui est consacré, l’objet atteint un statut autonome, dénoué de sa fonction. Nous perdons nos repères spatiaux et temporels, nous retrouvons la beauté de l’objet, devenu mouvement pur : geste indépendant de l’intention humaine, produisant une musique qui lui appartient.

Le regard de Delvallée est happé, captivé par le détail. Sa caméra est rarement fixe : ses mouvements discrets, presque imperceptibles, saisissent le moindre mouvement, qui est toujours la promesse d’une mutation. La cinéaste s’attarde sur un bout de papier qui brule, sur la texture des couleurs qui recouvrent progressivement la feuille, filme la caresse attentive sur le ventre d’une femme enceinte. C’est dans l’écart entre la main et la matière que se joue la création d’un dessin, la fabrication d’un objet, la naissance d’un enfant. Pas de miracles, juste un espace circonscrit, un creux débordant de possibles, qu’il faut se donner le temps d’appréhender. Et quand le cadre s’ouvre, c’est moins pour observer le résultat que pour saisir les sillages et les traces : caprices d’une matière qui persiste malgré la métamorphose, prête à l’arrivée d’un nouveau geste qui l’arrêtera en objet.

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